le Jeudi 21 septembre 2023
le Jeudi 15 Décembre 2022 9:30 Acadie et Francophonie

L’Acadie au rendez-vous du Sommet de la Francophonie

De gauche à droite : l’honorable Daniel Allain, ministre des Gouvernements locaux et de la Réforme de la gouvernance locale du Nouveau-Brunswick; Peggy Somers Feehan, directrice du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL); et Martin Théberge, président de la Société nationale de l’Acadie. — PHOTO(S) - Société nationale de l’Acadie
De gauche à droite : l’honorable Daniel Allain, ministre des Gouvernements locaux et de la Réforme de la gouvernance locale du Nouveau-Brunswick; Peggy Somers Feehan, directrice du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL); et Martin Théberge, président de la Société nationale de l’Acadie.
PHOTO(S) - Société nationale de l’Acadie
Tout le monde le sait, tout le monde le répète : l’Acadie n’existe pas sur les cartes géopolitiques. Le peuple acadien est une petite nation sans État, en situation de diaspora, par-dessus le marché. Toujours est-il que, malgré ces conditions, l’Acadie n’est guère en reste auprès des institutions de la Francophonie internationale. Voilà un fait étonnant qui s’est manifesté pleinement lors du récent Sommet de la Francophonie à Djerba, en Tunisie.
L’Acadie au rendez-vous du Sommet de la Francophonie
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Les Sommets de la Francophonie ont normalement lieu tous les deux ans depuis sa première inauguration en 1986, à Paris. Ils rassemblent les chefs d’État et de gouvernement des pays membres afin de « définir les orientations de la Francophonie […] de manière à assurer son rayonnement dans le monde. » 

Il s’agit de l’instance suprême de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). En raison de la pandémie, sa précédente et 17e édition remontait à 2018, en Arménie, où l’adhésion de quatre nouveaux membres a porté à 88 le nombre de gouvernements dans le giron de la Francophonie institutionnelle.

La Louisiane en faisait partie, en tant que membre observateur. Au Sommet de Djerba, mon État natal était notamment représenté par le Conseil du développement du français en Louisiane (CODOFIL), agence d’affaires francophones et interlocuteur privilégié dans la sphère internationale.

Le 18e Sommet de la Francophonie s’est donc déroulé les 19 et 20 novembre dernier, dans la terre d’origine de l’un des quatre fondateurs de la Francophonie internationale, à savoir Habib Bourguiba (1903-2000), premier chef d’État de la Tunisie postcoloniale. L’événement avait pour thème : « Connectivité dans la diversité : le numérique, vecteur de développement et de solidarité dans l’espace francophone ». 

En dépit des tensions liées aux problèmes politiques en Tunisie et dans plusieurs autres pays d’Afrique, il s’agissait d’un tournant pour la Francophonie institutionnelle, appelée à se recentrer sur sa mission fondamentale. 

Soulignons au passage que le Canada totalise quatre gouvernements membres de l’OIF, partant quatre délégations au Sommet : le Canada lui-même, le Québec, le Nouveau-Brunswick, qui y siège depuis 1977, et, depuis 2016, l’Ontario à titre d’observateur. On peut donc relever que l’Acadie jouit d’une représentation grâce à l’adhésion de notre province voisine.

On se rappellera d’ailleurs que la région de Moncton avait accueilli le Sommet de 1999, un jalon marquant et majeur de l’Acadie contemporaine, et aussi, sous un jour moins glorieux, que le gouvernement de Blaine Higgs avait annulé la tenue des Jeux de la Francophonie dès son arrivée au pouvoir, fin 2018.

Mais notre voix auprès de l’OIF se limite-t-elle au truchement néo-brunswickois ? Pas vraiment, même si le Nouveau-Brunswick joue un rôle indispensable. 

Cette situation a été étudiée par Christophe Traisnel, Éric Mathieu Doucet et André Magord, dans un article paru en 2020 dans la revue Francophonies d’Amérique. Ces trois chercheurs font état d’une dynamique tout à fait particulière :

« D’une certaine manière, la présence acadienne au Nouveau-Brunswick a permis de justifier, par un concours de volontés politiques singulier, la construction d’une forme de représentation déléguée de l’Acadie sur la scène internationale qui constitue en somme la raison principale d’une reconnaissance politique atypique dont jouit, sur la scène internationale francophone, le Nouveau-Brunswick. » 

Véronique Mallet, directrice de la Société nationale de l’Acadie, en discussion avec le premier ministre Justin Trudeau au Sommet de la Francophonie.

Autrement dit, l’intérêt pour l’Acadie ouvre au Nouveau-Brunswick les portes de la reconnaissance internationale, tandis que, à tour de rôle, les structures étatiques de la province encadrent la présence acadienne et francophone.

Pour mieux cerner cette réalité, j’ai pris rendez-vous avec Véronique Mallet, directrice générale de la Société nationale de l’Acadie. Organisme porte-parole du peuple acadien, la SNA jouit du statut consultatif auprès de l’OIF. Lors de notre conversation, Mme Mallet rentrait tout juste de Tunisie, où trois membres de la SNA avaient participé au Sommet, c’est-à-dire, en plus d’elle-même, le président de l’organisme, Martin Théberge, ainsi que Yannick Mainville, responsable de la Société de promotion des artistes acadiens sur la scène internationale (SPAASI).

La directrice de la SNA se dit très encouragée par l’esprit d’ouverture du gouvernement du Nouveau-Brunswick en ce qui concerne la visibilité de toute l’Acadie de l’Atlantique. Cette bonne volonté s’est faite perceptible, par exemple, au pavillon néo-brunswickois du Village de la Francophonie.

« Le gouvernement du Nouveau-Brunswick accepte de nous donner une place à la table tout en considérant que cela veut dire parler d’ailleurs que de l’intérieur de ses propres frontières parce qu’il voit la valeur ajoutée, précise Mallet. Il nous ouvre la porte, il nous accorde une place que l’Acadie des trois autres provinces n’aurait tout simplement pas si ce n’était de celle donnée par le gouvernement du Nouveau-Brunswick. »

Tout cela ne signifie pas pour autant qu’il y a eu une délégation officielle de la SNA. Dans les faits, ses trois émissaires ont participé au Sommet sous des étiquettes différentes. Alors que Mme Mallet faisait partie de la délégation canadienne en tant que représentante de la société civile, M. Mainville accompagnait celle du Nouveau-Brunswick, présidée par le ministre des Gouvernements locaux et de la Réforme de la gouvernance locale, Daniel Allain, aux côtés du ministre responsable de la Francophonie, Glen Savoie. M. Théberge, quant à lui, avait reçu une invitation personnelle de la Secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo.

À vrai dire, la francophonie minoritaire d’Amérique du Nord semble avoir la cote aux yeux des grands décideurs du monde francophone. Après la visite de l’an dernier d’une importante délégation acadienne à Paris, pour une rencontre avec le président Emmanuel Macron, c’était au tour de Mushikiwabo de se rendre d’abord en Louisiane, puis au Canada, où elle a inauguré la Représentation extérieure de l’Organisation internationale de la Francophonie pour les Amériques, sise à Québec. Fredericton était sa prochaine destination et c’est là qu’elle a fait la connaissance de Martin Théberge qui, de toute évidence, n’a pas perdu cette occasion.

L’hypothèse de Véronique Mallet : « Je dirais qu’elle est tombée sous le charme de l’Acadie – sous le charme d’une francophonie minoritaire qui s’affirme et qui s’affiche tous les jours. Ça lui avait beaucoup parlé. »

Certes, les échanges avec les autres pays francophones ne manquent pas d’importance. Saviez-vous, par exemple, qu’il existe une école à Tunis où le programme d’enseignement provient directement du système scolaire francophone du Nouveau-Brunswick ? C’est dire qu’il y a un réel potentiel d’exportation de nos expertises en milieu acadien. 

Pour la directrice de la SNA, la participation des membres de son organisme au Sommet, même rattachés à des délégations différentes, se répercute sur plusieurs tableaux, y compris celui du gouvernement fédéral. « Ce que cette présence nous a apporté, c’est une augmentation de la légitimité de la SNA auprès du gouvernement canadien », explique Mme Mallet. 

Ironie du sort, c’est donc en constatant les rapports établis et chaleureux entre l’Acadie, que ce soient avec les délégués du Nouveau-Brunswick ou les représentants de la SNA, et les grandes pointures de la Francophonie internationale, que ce soit le président Macron, la secrétaire générale Mushikiwabo ou encore certains hauts fonctionnaires, que nos politiciens fédéraux en viennent peut-être à traiter plus sérieusement les revendications que peut formuler la SNA en faveur de l’épanouissement du peuple acadien.

Pourquoi pas ?

Lorsque Louise Mushikiwabo, Rwandaise, a détrôné Michaëlle Jean, Canadienne d’origine haïtienne, dans la course au secrétariat général de l’OIF au Sommet d’Erevan en 2018, nous aurions pu croire à un éventuel désengagement vis-à-vis de l’Amérique du Nord francophone. L’appui de la France à la candidature de Mushikiwabo visait plus ou moins ouvertement à susciter un apaisement diplomatique avec le Rwanda. Sur le plan démographique, une nette majorité des 321 millions de francophones dans le monde vivent désormais en Afrique.

La posture actuelle de la Francophonie internationale semble démentir ce pressentiment. À peine tombés les rideaux du Sommet de Djerba, le président Macron s’est envolé en direction des États-Unis où, après un dîner d’État à la Maison-Blanche, il s’est rendu à La Nouvelle-Orléans. L’une de mes prochaines chroniques fera le point sur cette visite historique.

D’ici là, veuillez agréer, cher lectorat du Courrier, mes vœux les plus sincères pour de joyeuses Fêtes et une nouvelle année remplie de bonheur et d’expériences enrichissantes !