
Anselme (à Charles) Boudreau. 15 ans, alors qu’il fréquente l’école normale de Truro pour devenir instituteur.
Nous oublions souvent les personnes qui ne sont jamais allées sur les champs de bataille, mais qui étaient toujours prêtes à travailler dans les coulisses, pour aider la cause.
Au cours de mes recherches, il y a des années, je suis tombé sur un document que feu Anselme (à Charles) Boudreau de Chéticamp avait écrit dans le cadre de ses mémoires. Ce document semblait rendre compte de certains événements et de la façon dont certains de nos Acadiens ont essayé d’aider en temps de crise.
Voici ce qu’il a écrit.
Les deux guerres mondiales
La Première Guerre mondiale a commencé en août 1914. Comme il n’y avait ni radio ni télévision, nous apprenions les nouvelles par le télégraphe et les journaux. Au début, Chéticamp n’en subit aucune conséquence, si ce n’est les prix, surtout celui de la farine, qui augmentèrent assez rapidement.
La première année, il y a eu très peu de recrutement à Chéticamp, mais les jeunes hommes du village qui travaillaient à Sydney, Glace Bay ou New Waterford se sont enrôlés dans le régiment écossais, le 25e, au début, puis plus tard, le 85e.
Au cours de la deuxième année de la Guerre, un captif de l’armée, Charlie Gallant, est venu à Chéticamp afin de recruter des soldats pour un régiment acadien. Il a tenu des réunions dans tous les districts, auxquelles je l’ai accompagné plusieurs fois, et un certain nombre de jeunes hommes se sont enrôlés.
Ce régiment acadien a été formé sous la direction de Louis-Cyriaque Daigle du Nouveau-Brunswick, mais il n’a jamais été envoyé au front. Ces soldats acadiens étaient des experts en coupe de bois et ils étaient occupés à couper et à scier du bois pour l’armée dans les forêts de France.
Les nouvelles du déroulement de la guerre ne nous parvenaient que par les journaux, c’est-à-dire avec plusieurs jours de retard. Un certain nombre de nos soldats correspondaient avec des amis. Moïse (à Victor) Aucoin, qui fut l’un des premiers à s’engager dans le 25e régiment, m’écrivait régulièrement et nous apprenions plus de détails par ses lettres que par les journaux. Cette guerre, surtout pendant les trois dernières années, s’est déroulée dans les tranchées, et la vie n’y était pas un lit de roses.
L’enrôlement volontaire a duré jusqu’en 1917. Le gouvernement Borden a alors formé une coalition avec les libéraux qui étaient en faveur de la conscription. La conscription l’emporte et, en octobre 1917, les conscrits sont convoqués. Une commission a été nommée, avec Tom Gallant comme président et mon frère Placide et Mick Burns comme membres. La commission a trouvé des raisons ou des excuses pour exempter tous les jeunes hommes de Chéticamp.
Le gouvernement unioniste de Borden a convoqué une élection, qui a eu lieu le 17 décembre 1917 et a été élu avec une énorme majorité. Le Dr A. W. Chisholm, le député libéral du comté d’Inverness qui était contre la conscription, a été élu de la même façon. Nos jeunes hommes de 21 et 22 ans, qui avaient été exemptés en 1917, ont tous été rappelés en mai 1918. Mais aucun de ces conscrits ne s’est rendu sur le champ de bataille. Certains d’entre eux ont atteint l’Angleterre, mais la guerre s’est terminée avant qu’ils n’aient eu à se rendre au front.
En 1917, tout le monde devait être enregistré et personne ne pouvait voyager sans carte d’enregistrement. Les gens d’un district scolaire s’inscrivaient à leur école, l’instituteur étant chargé de l’inscription. J’enseignais alors à l’école LeFort de Plateau. J’enregistrais les gens dans cette école de 9 heures du matin à 11 heures du soir. Pendant la semaine, je me rendais dans les foyers pour inscrire les malades et les personnes âgées.
En décembre 1917, l’explosion d’Halifax s’est produite. Deux bateaux, le Mont Blanc, avec un plein chargement d’explosifs, et l’Imo sont entrés en collision dans le bassin de Bedford. Tout le côté nord de la ville d’Halifax a été détruit et le nombre de victimes a été énorme.
La déflagration a été entendue jusqu’à Chéticamp. J’étais sur la route du Plateau lorsque j’ai entendu ce qui semblait être un coup de tonnerre. Le temps était pourtant assez clair et je ne comprenais pas comment cela pouvait être du tonnerre. Le soir, lorsque j’ai reçu les mauvaises nouvelles par le télégraphe, j’ai compris que ce que je prenais pour du tonnerre était en fait l’explosion à Halifax.
Vers la fin de l’année 1918, nous pouvions voir dans les journaux que la résistance allemande s’affaiblissait et que la fin de la guerre approchait. Le 11 novembre, les Allemands se rendent et l’Armistice est signé. À Chéticamp, dès que la nouvelle a été connue, la cloche de l’église a sonné et tous les bateaux de pêche ont défilé jusqu’au bout du port.
Il y a eu de grandes réjouissances, car tout le monde croyait que c’était la guerre qui allait mettre fin à toutes les guerres. La démobilisation prend plusieurs semaines et les soldats de Chéticamp reviennent dans les premiers mois de 1919.

Les Highlanders de la Nouvelle-Écosse, 85e bataillon du Canada, fortifié.
La Deuxième Guerre mondiale, 1939-1945
La guerre de 1939 a également commencé en août. À cette époque, nous avions la radio et pouvions suivre les nouvelles. Comme pour la Première Guerre mondiale, l’engagement était volontaire jusqu’à la dernière année.
Pendant la première année, la guerre ne nous a pas trop affectés. Mais bientôt, les sous-marins allemands sont venus rôder près de nos côtes. Je travaillais à la mine. Un de nos bateaux a même été coulé par les sous-marins.
Le début de la guerre fut la cause de la fermeture de la mine de Chéticamp ; la dernière cargaison pour l’Angleterre fut jetée en mer afin de mettre le bateau au service du gouvernement. Pour la mine de Chéticamp, il ne restait qu’un seul marché, la Canada Cement Company, ce qui n’était pas suffisant pour une exploitation viable.
Il y eut un enregistrement général comme lors de la Première Guerre mondiale. Cette fois, elle s’est déroulée dans la salle paroissiale. Médéric Roach en était le responsable, mais beaucoup d’entre nous étaient prêts à donner un coup de main.
Après deux ans de guerre, un certain nombre de denrées ont été rationnées : sucre, beurre, essence et autres. On m’a confié la responsabilité de distribuer les coupons de rationnement. Je l’ai fait au bureau de la mine avec l’aide de la secrétaire Lucie-Anne Arseneau et de Jean MacPharland, la fille du directeur.
À Chéticamp, nous avons organisé une branche de l’A.R.P., c’est-à-dire un organisme d’entraînement, pour nous prémunir contre les attaques aériennes de l’ennemi. Nous avions une sirène et pendant un certain nombre de soirs, nous avons fait sonner la sirène et chaque foyer devait éteindre ses lumières ou au moins baisser les stores de ses fenêtres.
Ce n’était pas toujours un grand succès, mais ce n’était pas trop mal. En tant que responsable de cette organisation, je devais appeler la base de Sydney chaque fois que je voyais un avion passer.
En 1944, un avion s’est écrasé dans la montagne à Cap-Rouge. Trois hommes étaient à bord et un a été tué. Une équipe de secours a été envoyée pour les localiser et j’ai été en communication avec Sydney toute la journée. Finalement, dans la soirée, l’équipe et les survivants sont sortis à Cap-Rouge et le corps de celui qui était mort a été sorti le lendemain.
L’enrôlement était volontaire jusqu’en 1944. Le premier ministre MacKenzie King avait promis qu’il n’y aurait pas de conscription. Mais, en 1944, l’armée avait besoin de renforts et de nouveaux soldats pour remplir les rangs vides, et comme la moitié de son Cabinet et l’opinion publique étaient en faveur de la conscription pour éviter la défaite, il a décidé de tenir un plébiscite national sur la question.
Chéticamp, la province de Québec et les régions françaises du pays votent contre. Mais toutes les autres provinces votent « en bloc » (ensemble) en faveur de la conscription et celle-ci est votée par une énorme majorité au Parlement. Mais, comme lors de la Première Guerre mondiale, aucun conscrit de Chéticamp n’est parti au front.
Enfin, en 1945, la Guerre se termine par la défaite totale de l’Allemagne. Nous avons eu la nouvelle le matin par radio et j’ai pris le reste de la journée de congé. Ce jour-là, la Liquor Commission de la Nouvelle-Écosse a fermé tous ses magasins, créant ainsi beaucoup d’animosité. Ses magasins d’Halifax, de Sydney et de New Waterford ont été cambriolés et l’alcool a été volé. De nombreux dommages sont causés dans ces régions, ainsi qu’à d’autres endroits. Aucune de ces violences ne s’est produite à Chéticamp.
La guerre au Japon s’est poursuivie jusqu’en août 1945. La nouvelle bombe atomique a été larguée sur deux villes japonaises, causant une destruction complète. Le Japon a abandonné.
Ce jour-là, nous avons organisé une fête à la maison. Il y avait beaucoup de gens, dont Dan (à Firmin) Chiasson qui a chanté des chansons et raconté des histoires. Nous attendions la nouvelle de la fin de la guerre et à 9 heures, elle a été annoncée. Immédiatement, nous nous sommes agenouillés et avons dit le chapelet. Puis ce fut l’heure de la fête, une grande soirée !
J’ai dû me rendre à Point Edward pour rendre les feuilles de code en ma possession. Il était interdit de les envoyer par la poste.
Conclusion
Comme plusieurs d’entre vous le savent, peu d’Acadiens ont laissé leur marque sur leur village natal au point où Anselme Boudreau l’a fait par le rôle qu’il a joué dans l’amélioration des conditions de vie à Chéticamp.
À l’âge de 15 ans, il était un brillant étudiant du Normal College de Truro. Il a enseigné pendant 20 ans et a été directeur adjoint de la mine de gypse pendant 30 ans. Il a été conseiller municipal pendant 20 ans et préfet de comté de 1950 à 1955.
Pendant plusieurs années, il a été membre de la commission scolaire. Grâce à son intelligence supérieure et à son respect naturel pour tous les gens, il a exercé une grande influence sur les membres des différents conseils auxquels il a siégé. Son influence auprès des gouvernements provincial et fédéral était très importante dans son travail pour ses compatriotes.
Anselme est décédé en 1991 à l’âge de 101 ans et 6 mois. Ses mémoires sont très importantes pour toute cette région et même au-delà.
(Information tirée du livre : Anselme Boudreau – Mémoires de Chéticamp)