
La main-d’œuvre qui est intrinsèque à ces repas est souvent déguisée par une nostalgie qui parfume la cuisine. L’effet soporifique de cette nostalgie peut facilement effacer les connaissances nécessaires pour les répéter d’une génération à une autre. Étant donné que je voulais m’assurer que ces connaissances ne se perdent pas au fil du temps, il y a quelques années, j’ai commencé à cuisiner avec mes nièces, et même leur donner la responsabilité de préparer certains plats, et aussi comprendre pourquoi qu’un tel processus amène à un tel résultat. Le premier essai : la tarte aux pommes.
La première fois qu’une de mes nièces a décidé qu’elle voulait faire une tarte aux pommes, je lui ai expliqué, “tu vas faire des fautes. Ce n’est pas la fin du monde. J’en fais tout le temps, mais je ne me décourage pas. J’apprends.” Debout devant le comptoir, un bol à sa gauche, un contenant de farine à sa droite, elle attendait que je commence à lui montrer le processus de fariner le comptoir, de couper les pommes. Non, je lui ai dit. “C’est toi qui vas tout faire. Je vais tout simplement te guider. Ta tarte, tes mains.”
J’ai appris à cuisiner grâce à un appétit littéraire. Plusieurs livres m’ont donné confiance pour réaliser et répéter certains plats et recettes, mais pas tous les livres m’expliquait le pourquoi d’une recette. Je voulais que mes nièces comprennent comment un plat arrive à la table, qu’ils puissent non seulement bien lire et effectuer une recette, et savoir qu’est-ce qui est nécessaire pour ne pas le rater. Je voulais qu’elles aient confiance dans leurs capacités culinaires, pas dans l’auteur d’une recette.
Il y a des trucs que certains livres et leurs recettes n’expliquent pas, des indices qui peuvent assurer que nos efforts aboutissent à un bon résultat. “Prends ta cuillère et remue la farine avant de la mettre dans ta tasse,” j’explique. “Comme ca, tu t’assures que tu n’aurais pas trop de farine dans ta pâte, surtout que tu vas la rouler sur un comptoir bien enfariné.” Quand elle trouve des pommes pour sa tarte, je lui suggère de goûter plus qu’une variété. Elle goûte deux pommes en même temps, et note les différentes textures, qu’une est plus épicée pendant que l’autre est plus juteuse. Elle sait que sa grand-mère ajoute de la cannelle et de la muscade dans ses tartes, mais elle ne sait pas exactement combien. “Goûte, et décide pour toi-même.” Elle goûte, et décide que ces pommes manquent de cannelle, mais il y a assez de muscade.
On met la tarte au four, et en nettoyant on réalise tous les deux qu’on a oublié de noter le temps, sachant qu’on doit baisser la température après quinze minutes. “Ça ne fait pas plus que six ou sept minutes,” annonce ma mère, sa grand-mère. Je regarde ma nièce et lui répète mon avis de plus tôt. “J’ai fait des gaffes, et je continue. Mais ce n’est pas grave.”
La tarte, bref, était exquise. Trois, et non deux variétés de pommes s’y trouvaient, pour un mélange d’arômes et de textures. Du miel pour sucrer les pommes, s’assurer d’un petit plaisir, offert dans une quantité qui convenait à ma chère nièce. Plus de cannelle et muscade que grand-mère mettrait dans sa tarte, mais ce n’est pas la tarte à grand-mère, ni la mienne. C’est à ma nièce, à sa manière, à sa nouvelle tradition.