Comme tous muscles, les capacités de la langue doivent être exercées, une robustesse nécessaire. Sinon on risque de perdre nos façons de s’exprimer, de décrire notre quotidien. Si un concept ou un objet ne fait plus partie de nos habitudes et nos coutumes, on a plus besoin de l’exprimer, il devient mou dans son inutilité. Alors permettez-moi de commencer de réclamer entre nous, et avec vous, le temps des grainages.
Ce mot, cette expression, ce concept, n’a pas fait partie de mon vécu ni de mes connaissances avant quelques années passées. Lors d’une entrevue avec Madame Édith Thibodeau, sœur du folkloriste et linguiste amateur Félix Thibodeau, elle me parlait de coutumes culinaires et agricoles de sa jeunesse, et mentionnait “aller aux grainages.” Cette coutume estival de cueillir, de ramasser les petites baies et fruits qu’on trouvait dans les bois, les champs, les broussailles et les fetchaques.
Étant ignorant de l’expression, j’avais cependant dépensé du temps dans ma jeunesse à ramasser une fraise de bois ici et là, ou des framboises et mûres noires hors d’une cane ou deux. Mais dépassé l’âge de sept ou huit, l’envie de passer du temps à quatre pattes pour un tel travail ne m’intéressait pas.
Ce travail ardu du grainages est essentiellement plus nécessaire de nos jours. Une bouteille de confiture, de preserves, de fruits en conserves, est relativement peu coûteuse pour la plupart des gens. On a plus besoin de se charger de la responsabilité à dépasser des matins et après-midi dans les broussailles. On a été libéré d’un travail précédemment lié à notre survie, des heures d’ouvrage disparu par un petit contenant disponible sur les étagères d’un supermarché. Le temps des grainages est devenu un exercice en nostalgie, un petit vol de fantaisie bourgeois. Si on le fait, c’est parce qu’on a le choix de ne plus avoir besoin d’y faire.
Mais il y a, cependant, une raison d’aller aux grainages, une valeur qui dépasse le plaisir intrinsèque de manger des framboises, mûres, ou fraises des bois chauffé au soleil dans leur état naturel. Il y a l’aspect communautaire, l’aspect familial qui éclos pendant ce travail. Le voisin qui raconte de leur journée, les parents qui montrent aux enfants ou et comment mieux cueillir, l’échange entre générations. Il y a l’apprentissage des pratiques qui mène à une meilleur récolte. Et surtout, les aînés qui s’assurent que les jeunes d’astheure connaissent que ces canneberges qui voient aux champs, se nomment aussi des pommes-des-prés.
Tout finit par se faire semer.