
L’Amérique d’abord », c’était le mot d’ordre de la politique internationale de celui qui aspirait, par un nationalisme populiste tapageur, à rendre aux États-Unis « leur grandeur ». Refus de la mondialisation, sa vision protectionniste comportait certes des axes qui pouvaient se justifier étant donné, par exemple, la délocalisation sauvage de millions d’emplois depuis quelques décennies. D’autres mesures reflétaient en revanche un penchant obsessif pour l’isolationnisme.
Sur le plan diplomatique, le président sortant avait voulu mettre à profit son « art de la négociation » en traitant avec les autres nations sur une base bilatérale, au lieu d’agir le cadre des ententes et des institutions multilatérales. La décision de retirer les États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en pleine pandémie de COVID-19, est emblématique de sa méfiance de l’establishment international.
Si l’avènement de Barack Obama faisait souffler en 2008 un vent de changement, la victoire de Biden, vice-président de 2009 à 2017 après avoir servi de sénateur du Delaware pendant 36 ans, annonce surtout un retour au statu quo ante. Il n’y a que le choix de sa colistière Kamala Harris, première femme et première personne de couleur à assumer la vice-présidence, qui promette un peu de nouveau. Aux yeux de beaucoup, le simple retour à une certaine normalité suffira à rendre plus harmonieux le concert des nations.
Le programme électoral du parti démocrate exprime les grands objectifs de la nouvelle administration à cet égard. Ceux-ci consisteront à revitaliser la diplomatie américaine, à renouveler les alliances des États-Unis et à participer pleinement aux institutions internationales. « Au lieu de les abandonner, les démocrates croient que les États-Unis doivent montrer la voie et mobiliser nos partenaires pour faire cause commune », affirme ce document. Il précise, de plus, qu’il s’agira de « réintégrer et réformer l’OMS, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies et le Fonds des Nations unies pour la population » afin de faire face à la crise de santé ainsi qu’à la « récession globale de la démocratie ».
Fait étonnant et fort révélateur de son asservissement total au président Trump, le Parti républicain n’avait pas daigné élaborer de programme électoral pour la campagne, ayant simplement réédité celui de 2016.
La majorité des chefs d’État ont transmis leurs félicitations au tandem Biden-Harris. « Notre amitié transatlantique est indispensable si nous souhaitons relever les défis majeurs de notre époque », affirmait la chancelière allemande Angela Merkel. La Chine, avec laquelle l’administration Trump a eu de nombreux démêlés, a hésité à se prononcer pendant quelques jours. Toutefois, le quotidien officiel China Daily soulignait récemment que « l’empressement des dirigeants étrangers » à féliciter Biden témoignait de leur désir de « tourner le dos à l’administration actuelle et à ses politiques clivantes ».
Trump ne s’est pas attiré que des ennemis, bien entendu. Il ne faisait pas mystère de son affinité pour les dirigeants autoritaires. « C’est drôle, les relations que j’ai », avait-il avoué à l’éminent journaliste Bob Woodward. « Plus ils sont durs et méchants, mieux je m’entends avec eux. »
Quelques jours avant le scrutin présidentiel, le magazine The Atlantic publiait un essai de Yasmeen Serhan qui dressait un portrait de quelques chefs d’État pour qui la reconduction de Trump aurait été préférable (19 oct. 2020). Ce groupe comprend le président du Brésil, Jair Bolsonaro, un conservateur réactionnaire; Viktor Orbán, le très xénophobe premier ministre de Hongrie; Rodrigo Duterte, président des Philippines et architecte d’une « guerre contre la drogue » qui a été le prétexte d’un nombre effarant d’exécutions extrajudiciaires; et Narendra Modi, premier ministre de l’Inde et partisan d’un nationalisme ethnoreligieux, d’orientation hindouiste, au nom duquel la discrimination et la violence ont été déchaînées contre la minorité musulmane du pays. L’attitude affichée par Trump donnait à croire que rien de tout cela ne le dérangeait.
La réaction de Modi traduit l’ambivalence de la position dans laquelle se trouve son gouvernement. En plus d’avoir félicité Biden pour sa « victoire spectaculaire », il s’est également réjoui, dans un gazouillis, de l’élection de Harris, fille d’une immigrée indienne, la scientifique Shyamala Gopalan (1938-2009), en tant que représentante de la communauté indo-américaine qu’il qualifiait de « source extraordinaire de force pour les relations » entre les deux pays. Cependant, plusieurs experts croient que l’administration Biden-Harris ne se taira pas nécessairement devant les graves violations des droits humains qui sont devenues monnaie courante dans l’Inde de Modi.
Là où le nouveau président risque de fermer les yeux, c’est en Palestine, toujours en proie aux politiques criminelles imposées par l’État d’Israël. Lamentablement, l’approche de Biden s’inscrira sans doute dans la continuité de son prédécesseur.
Le changement de cap tant attendu concernera surtout les rapports avec les institutions multilatérales. De l’UNESCO à l’accord de Paris sur le climat, l’administration Biden-Harris entend rentrer dans le giron de l’ordre international, pour le meilleur et pour le pire. La nomination d’Antony Blinken, haut diplomate sous Barack Obama, au poste de secrétaire d’État est largement interprétée comme un clin d’œil favorable à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), honnie par Trump. D’autres annonces vont dans le même sens. Ayant fait de la pandémie de COVID-19 sa priorité la plus urgente, Biden a déjà promis de révoquer le retrait des États-Unis de l’OMS dès son investiture.
Sera-t-il si facile de réparer les pots cassés? Pour ce qui est de l’OMS, ce n’est pas sûr, même si la coopération américaine dans le domaine de la santé n’a pas cessé pour autant. En témoigne l’appui qu’a apporté l’administration Trump à la création d’un vaccin contre la COVID-19. Toujours est-il que le reste du monde a continué d’avancer pendant que les États-Unis piétinaient. Qui va à la chasse perd sa place, dit le proverbe. L’oncle Sam devra donc retrouver son siège à la table, sans heurter les pays qui se sont efforcés de remplir le vide qu’il a laissé, surtout les nations du Sud global.
Au Canada, nous sommes aux premières loges de la transition. D’autant plus que le président-élu a l’intention de renouer avec la tradition d’effectuer son premier voyage international chez son voisin du nord.