Avoir le choix d’un meilleur service pour accéder au réseau Internet, c’est tout un luxe. Où l’est-ce vraiment? Ces derniers mois, les conditions imposées par la pandémie de COVID-19 auront fait d’une connexion robuste et fiable une nécessité absolue pour le travail, du moins dans beaucoup de secteurs, et pour les études, tant au niveau scolaire que postsecondaire.
Or, l’accès à Internet est loin d’être équitable. Ici, en Nouvelle-Écosse, la disparité entre les zones urbaines et les régions rurales se fait criante. Même si je n’apprends rien au lectorat du Courrier en affirmant cela, il est instructif de prendre la mesure du phénomène. Selon un récent rapport de l’Autorité canadienne pour les enregistrements Internet (ACEI), le temps de téléchargement est, en moyenne, dix fois plus lent à l’extérieur des villes. Espérons que les initiatives annoncées par la province remédieront tôt ou tard à la situation.
La vitesse de connexion ne représente guère le seul défi. Environ 20 000 élèves en Nouvelle-Écosse ne disposeraient même pas d’accès Internet, à en croire Terry Dalton, président de l’organisme à but non lucratif iValley (The Chronicle Herald, 14 août 2020). À l’impératif de la compétitivité économique de nos régions s’ajoute celui de la scolarisation des enfants.
Nous nous berçons trop facilement, peut-être, de l’illusion que le monde entier vit dans l’interconnectivité béate grâce à la téléphonie mobile et aux médias sociaux. Ayant évoqué la situation dans notre province, tournons-nous vers le contexte mondial. Il s’agira de faire le point sur la fracture qui est qualifiée de fossé numérique, c’est-à-dire « l’écart existant entre les pays développés et les pays en voie de développement, en matière d’accès aux technologies de l’information et de la communication » (Office québécois de la langue française).
Sur une population mondiale d’environ 7,8 milliards de personnes, un peu plus de la moitié d’entre nous utilise Internet. C’est ce que montrent les données dévoilées l’an dernier par l’Union internationale des télécommunications (UIT). Derrière la moyenne globale se profilent des écarts considérables. Alors que le taux de pénétration d’Internet en Amérique du Nord atteignait 94,6 % des gens, ce chiffre ne reflète pas nécessairement les réalités ailleurs. Les auteurs du Internet Health Report, préparé par la fondation Mozilla, en tire cet aperçu :
« Pour bien comprendre le poids de cette inégalité, considérons que plus de 80 % de la population mondiale vit dans les pays en développement. Si le monde ne comptait que 100 personnes, près de 56 d’entre elles vivraient dans la région Asie-Pacifique où se trouvent les pays les plus peuplés du monde, la Chine et l’Inde, et seulement 26 auraient accès à Internet. En Europe, 7 personnes sur 9 utiliseraient Internet. Alors qu’en Afrique, moins de 4 sur 13 bénéficieraient d’une connexion. »
Dès les années 1990, à l’époque où généralisaient les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), certains tiraient déjà la sonnette d’alarme. Autant la révolution numérique promettait une ère nouvelle en matière de communication, d’innovation, d’éducation, de transactions et d’implication citoyenne, autant elle risquait d’aggraver les injustices socioéconomiques de la globalisation. Le fossé numérique comportait également, et comporte toujours, des fractures internes : entre les hommes et les femmes, les aînés et les autres groupes d’âge, et, comme nous l’avons vu, entre les villes et les zones rurales.
Cependant, le bilan d’ensemble des dernières années revêt des aspects encourageants. Considérons le Cameroun, pays de 26,7 millions d’âmes, surnommé « l’Afrique en miniature » tant pour ses richesses naturelles que pour sa grande diversité ethnolinguistique.
En 2014, le Forum économique mondial situait le Cameroun au 131e rang en matière de fracture numérique. L’année suivante, le pays avait gagné cinq places. Depuis lors, contrairement à la tendance au ralentissement du taux de connectivité ailleurs dans le monde, la progression va galopante. En janvier 2020, on constatait une augmentation de 7,8 % sur douze mois, soit 570 000 nouveaux Internautes, pour atteindre 30 % des Camerounaises et Camerounais (InvestirAuCameroun.com, 24 février 2020). La majorité des usagers (59 %) se connectent via leurs téléphones intelligents, tandis que 39,4% se servent d’ordinateurs et seulement 1,3 % de tablettes.
Quoique réels et prometteurs, ces progrès ne suffisent pas encore pour assurer l’enseignement en ligne en temps de pandémie. Ce sont « quelque 826 millions d’élèves et d’étudiants, soit la moitié du nombre total d’apprenants, n’ont pas accès à un ordinateur à domicile et 43% (706 millions) n’ont pas Internet à la maison », d’après les recherches de l’Équipe spéciale internationale sur les enseignants, une alliance coordonnée par l’UNESCO, et de l’UIT. Dans certains pays à faibles revenus, notamment en Afrique subsaharienne, jusqu’à 82 % des élèves ne disposent pas d’Internet chez eux. Qui plus est, de vastes zones restent à l’écart des réseaux mobiles.
Plusieurs programmes ont été lancés pour relever le défi. « C’est pour remédier à ces lacunes que la Coalition mondiale pour l’éducation Covid-19 a été lancée », a déclaré Stefania Giannini, sous-directrice générale de l’UNESCO pour l’éducation. « Elle rassemble plus de 90 partenaires des secteurs public et privé, afin d’élaborer des solutions universelles et équitables et rendre la révolution numérique inclusive
La pandémie inspirera-t-elle un saut en avant? C’est fort possible.
Certes, la question de l’accès n’est qu’une face de la fracture numérique. Il y va aussi du contrôle de l’infrastructure des réseaux, d’une part, et de la création des richesses dans l’économie numérique, d’autre part. Ces aspects seront explorés dans une chronique ultérieure.