
Les incertitudes autour de l’avenir du Campus Saint-Jean la dépassent. « Je n’arrive pas à croire qu’on n’arrive pas à comprendre l’importance du Campus Saint-Jean ». Elle insiste : pour elle, il s’agit d’une richesse pour la communauté et pour les « amoureux de la langue française » qui choisissent d’étudier en français. « Et ça, c’est tellement important pour notre pays! ».
La sénatrice dénonce que beaucoup vantent les bienfaits du bilinguisme, mais très peu agissent réellement pour le protéger. Elle appelle donc les francophones au Canada à la vigilance : « Ça a pris tellement d’années, ça a été tellement difficile de gagner ce que l’on a gagné. On peut perdre ça tellement rapidement. C’est important de se battre. Pas juste pour conserver ce qui est acquis, mais pour continuer de grandir dans la francophonie. Il ne faut pas en laisser passer une, comme on dit dans le sport!»
L’argument financier contre les minorités
Chantal Petitclerc compare le combat des Franco-Albertains à celui des personnes handicapées, « une minorité visible aussi ».
« On nous dit que ça va couter cher, que c’est des dépenses d’investir dans l’accessibilité universelle. Il faut vraiment qu’on arrête de penser de cette façon étroite, parce qu’au contraire, investir dans les droits de toutes minorités, c’est payant pour tout le monde! Ça crée des citoyens capables d’agir à la mesure de leur potentiel, de leur expertise, de leurs compétences. Et c’est ce qu’on veut ».
La championne paralympique balaie du revers de la main les arguments budgétaires du gouvernement provincial. « Ce sont les arguments que l’on sort toujours quand on veut couper, que ce soit les services aux francophones ou les services aux personnes handicapées. Quand on parle à des économistes indépendants, souvent ils nous disent que ce sont des arguments qui ne tiennent pas la route. Les investissements pour notre communauté, on ne peut pas juste les quantifier avec des retours financiers. Mais il y a de vraies retombées », affirme-t-elle en citant son propre parcours en exemple.
La communauté francophone, un point d’ancrage
Cette aventure a commencé en 1989. Au Cégep de Sainte-Foy, Chantal Petitclerc est attirée par le kiosque du Campus Saint-Jean, alors que ce dernier fait la tournée du pays pour recruter des étudiants. Par chance, la faculté francophone de l’Ouest est compatible avec le programme de prêts et bourses du Québec.
À cette époque, elle termine ses études au Cégep de Sainte-Foy. Partir en Alberta est une aubaine : cela lui permettrait de suivre le programme d’histoire qu’elle affectionne, tout en se familiarisant avec l’anglais, elle qui a grandi à Saint-Marc-des-Carrières «où personne ne parle anglais».
Ces deux raisons s’ajoutent à un argument de poids : cela fait cinq ans qu’un accident l’a privée de l’usage de ces jambes.
À cette époque, Chantal Petitclerc est déjà mordue d’athlétisme handisport. Elle rêve de s’entrainer avec Peter Eriksson, considéré comme un génie dans son domaine et qui réside à Edmonton. Un choix payant : 30 ans plus tard, l’athlète collectionne 21 médailles paralympiques, dont 14 en or.
« À mon arrivée, je parlais très peu l’anglais. Mon point d’ancrage ça n’a pas juste été le Campus Saint-Jean, mais la communauté francophone : les petites boutiques, la librairie, les petites places avec de la poutine, mais aussi le culturel comme le théâtre. »
Elle raconte que son sentiment d’appartenance a grandi très vite. Elle ne regrettera jamais d’avoir choisi l’Alberta. « Ça a beaucoup enrichi ma vie, ça a fait que j’ai été capable de continuer de vivre en français, mais en même temps d’être dans une ville anglophone. Donc, apprendre l’anglais en gardant mes racines. »
Des Gaulois qui se protègent
Chantal Petitclerc garde « d’excellents souvenirs » de cette période de sa vie. L’ambiance de ce campus « à taille humaine» et les gens qui s’y trouvaient l’ont marqué. « Il y avait cette complicité, cette camaraderie, même avec les enseignants. »
Elle se souvient de la passion des enseignants de l’époque, « qui étaient là parce qu’ils voulaient être là ». « Je me suis inscrite en histoire et je suis devenue passionnée grâce à eux qui, vraiment, ont fait une grande différence dans ma vie. »
En ce début des années 1990, l’esprit de résistance animait déjà la communauté des élèves. « Tout le monde partageait ce “moi, je suis francophone”. On a comme l’impression d’être une communauté secrète, d’être les Gaulois qui se protègent, et qui se battent et qui se sentent forts », raconte-t-elle en concluant que « c’était assez magique, mon expérience au Campus Saint-Jean ».