le Lundi 27 mars 2023
le Jeudi 23 juillet 2020 12:26 Au rythme de notre monde

L’Organisation mondiale de la santé : origines et évolution (3e partie)

La Commission intermédiaire de l’OMS réunie au sujet de la malaria en 1947. — Wellcome Images, sous la licence CC BY-SA 4.0; source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:World_Health_Organisation_Interim_Committee_on_malaria._Phot_Wellcome_V0028079.jpg)
La Commission intermédiaire de l’OMS réunie au sujet de la malaria en 1947.
Wellcome Images, sous la licence CC BY-SA 4.0; source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:World_Health_Organisation_Interim_Committee_on_malaria._Phot_Wellcome_V0028079.jpg)
C’est d’une ironie qui frise l’absurde : alors que la pandémie de la COVID-19 s’aggrave aux États-Unis du fait d’une gestion erratique, le président Trump souhaite retirer son pays de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qu’il accuse de complicité avec la Chine en cachant l’origine véritable du virus. Une lettre envoyée le 6 juillet dernier signifiait cette intention au directeur de l’OMS, l’Éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus. Si Trump n’est pas défait en novembre par son rival démocrate, l’ancien vice-président Joe Biden, la décision prendra effet l’été prochain.

Pourquoi est-ce important? Agence spécialisée de l’Organisation des Nations Unies, l’OMS s’occupe d’améliorer le niveau de santé de l’ensemble des peuples du monde. Pour ce faire, elle coordonne des initiatives visant, d’une part, à combattre les maladies infectieuses et, d’autre part, à aider les pays à atteindre leurs stratégies nationales en matière de santé, notamment à travers ses six bureaux régionaux et ses nombreux partenariats. L’institution compte 194 États membres. Parmi ceux-ci, les États-Unis apportent la plus grande contribution annuelle au financement de l’OMS, soit 15,9 % de son budget en 2019.

En plus de couper les ailes aux collaborations avec les agences de santé américaines, le retrait des États-Unis aura des conséquences budgétaires éventuellement très nuisibles.

Dans la précédente chronique sur ce sujet (15 mai 2020), nous avons appris que l’un des prédécesseurs de l’OMS était l’Organisation d’hygiène de la Société des Nations et que, sous la direction de Ludwik Rajchman (1881-1965), médecin et bactériologiste polonais, celle-ci avait favorisé dans les années 1930 l’approche de la médecine sociale. Selon cette perspective, les interventions sanitaires doivent s’adapter aux cultures locales, et non l’inverse. S’étant prononcé contre la montée des régimes fascistes en Allemagne et en Italie, Rajchman perd son poste. Plus tard, il fondera l’UNICEF, ou le Fonds des Nations unies pour l’enfance.

La Seconde Guerre mondiale (1939-45), on le sait bien, viendra bouleverser l’ordre mondial. Les puissances victorieuses en sortent convaincues de la nécessité d’instaurer de meilleurs mécanismes de concertation multilatérale, sans imposer toutefois un gouvernement mondial. Sur le terrain en Europe, l’Administration des Nations unies pour le secours et la reconstruction (UNRRA), active dès 1943, est confrontée à l’effondrement des systèmes de santé et à la menace des épidémies. Lorsque l’ONU voit le jour en juin 1945, à la conférence de San Francisco, la création d’une agence internationale de santé publique est envisagée pour relayer celles qui avaient existé sous la défunte Société des Nations. La proposition est avancée par le Brésil et la Chine. Un Comité technique préparatoire (CTP) est mis sur pied pour poser les bases de la future OMS. 

Certes, il reste à démontrer le bien-fondé de la collaboration dans le nouveau contexte. L’occasion survient en 1947 lorsque se déclare une épidémie de choléra en Égypte. Grâce à une campagne de vaccination musclée et efficace sous la coordination de la Commission intérimaire de l’OMS, la situation est vite maîtrisée.

Entre-temps, le CTP commence à rédiger une constitution qui sera approuvée par l’ONU le 7 avril 1948, au terme d’une série de conférences internationales. Cette charte énonce des principes progressistes et solidaires, son premier article affirmant : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » C’est donc une notion positive de la santé qui prévaut.

Le texte fait preuve d’un universalisme auquel fera écho, peu après, la Déclaration universelle des droits de l’Homme (10 décembre 1948) : « La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale. »

Enfin, la santé publique est liée aux enjeux géopolitiques : « La santé de tous les peuples est une condition fondamentale de la paix du monde et de la sécurité; elle dépend de la coopération la plus étroite des individus et des États. »

OMS, 1950; source : https://www.who.int/archives/exhibits/monthdoc_mar20_1.jpg?ua=1)

C’est grâce à une suggestion de la délégation chinoise que l’organisme sera qualifié de « mondial », plutôt que d’« international », pour souligner l’unité du genre humain. Le premier directeur de l’OMS, le psychiatre canadien Brock Chisholm (1896-1971), exprimera ce sentiment dans ces termes : « L’environnement de chaque personne dans le monde est désormais le monde entier. »

Même si les États-Unis appuient fortement la création de l’OMS, les tendances isolationnistes de l’ère Trump, ancrées, en fait, dans une longue tradition états-unienne, se profilent déjà dans la mesure où Washington se réserve le droit exceptionnel de quitter l’organisme moyennent un préavis d’un an. (C’est ce qui vient de se produire.) Mais ce n’est pas le seul obstacle à l’épanouissement de l’esprit humanitaire et désintéressé de l’institution, comme le souligne l’ouvrage The World Health Organization: A History, de Marcos Cueto, Theodore M. Brown et Elizabeth Fee (Cambridge University Press, 2019). 

« Dès le milieu des années 1950, l’OMS avait trouvé sa place au sein d’un réseau grandissant d’agences multilatérales, s’était assuré les contributions des pays membres à son budget et avait mené une campagne remarquable, quoique problématique, contre la tuberculose. En même temps, elle faisait face à des défis de taille. L’agence devait composer avec la Guerre froide qui s’intensifiait […] et devait tenir compte des angoisses des gouvernements britanniques, français, néerlandais et portugais qui tentaient de maintenir ou de reconstruire leurs empires coloniaux alors que ceux-ci commençaient à s’effriter. Elle devait également répondre aux demandes et attentes des pays en développement. »

Un casse-tête déconcertant, voire impossible à résoudre, d’autant plus qu’en 1949 l’Union soviétique, accompagnée de l’Ukraine et de la Biélorussie, quittait l’organisation pour manifester son mécontentement face à ce qu’elle percevait comme l’ingratitude des États-Unis pour ses sacrifices durant la guerre. Dans la même foulée, il était question de l’incompatibilité de la vision communiste de la santé publique avec l’approche des pays capitalistes, peu enclins, prétendait Moscou, à reconnaître les causes socioéconomiques des problèmes sanitaires. 

Les auteurs résument ainsi la situation : « Comme d’autres agences de l’ONU, l’OMS allait abandonner ses rêves d’une communauté collaborative des nations et s’adapter aux nouvelles réalités de la politique internationale […] L’agence s’est aussi rapprochée davantage de la politique étrangère états-unienne […]. » Au bout du compte, « l’OMS a fini par poursuivre une voie pragmatique d’objectifs limités. »

Bien que plus restreinte, cette orientation ne signe pas pour autant l’échec de l’institution, malgré les réalités freinant l’idéalisme qui en demeurera le cœur battant.