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le Samedi 28 mars 2020 19:16 Arts et culture

Les suêtes ont causé bien des dégâts à Chéticamp au fil des ans

Le 13 mars 1993, des suêtes ont arraché le toit de l’hôpital du Sacré-Coeur de Chéticamp. — Rosie AuCoin-Grace
Le 13 mars 1993, des suêtes ont arraché le toit de l’hôpital du Sacré-Coeur de Chéticamp.
Rosie AuCoin-Grace
CHÉTICAMP : Les gros vents qui soufflent à l’occasion dans la région de Chéticamp, connus comme les suêtes, ont causé bien des dégâts au fil des ans. Ces vents sont devenus une partie de la culture locale. Depuis des générations, on a appris à reconnaître les signes de cette tempête de vent quelques heures à l’avance. Durant un suête survenu il y a quelques semaines, les vents se sont élevés à 229 km/h et la nouvelle s’est répandue partout sur Facebook.

     Un suête commence avec des vents venant de l’Atlantique. Quand les conditions sont propices, la pression de l’air remonte sur les montagnes et ensuite en descendant du côté de l’ouest et en accélérant, les vents acquièrent souvent des forces d’ouragan. D’ordinaire, il y a des signes d’avertissement, une augmentation considérable dans la pression de l’air suivie d’une chute dramatique, un joli calme avant la tempête. Souvent, les montagnes semblent plus larges comme si elles pèsent sur les gens, dessinant une aura en quelque sorte. Les animaux et les enfants sont plus hyperactifs que d’habitude et certains peuvent même éprouver des malaises comme la migraine.

     Les ancêtres se préparaient pour ces tempêtes en se rendant à la côte le plus vite possible et en ramassant les enfants à l’école pour les ramener à la sécurité de leurs maisons. Les volets des fenêtres étaient fermés et des précautions étaient prises pour attacher tout ce qui aurait pu être soulevé par le vent, l’eau était stockée, des réserves supplémentaires de bois étaient rentrées, ainsi de suite. Aussi, les maisons étaient construites solidement, souvent dans un abri avec un toit penché vers le côté sud- est, laissant quelques ouvertures pour le vent. Plusieurs maisons étaient attachées avec des câbles d’acier afin de les ancrer à la terre. Les portes ouvraient vers l’extérieur plutôt que vers l’intérieur. Plusieurs granges étaient attachées aux maisons, ce qui fournissait un abri et un accès facile dans les tempêtes afin de prendre soin des animaux.

     Quand on annonce des tempêtes, le magasin coop local, le magasin des alcools, le bureau de poste et d’autres entreprises sont souvent congestionnés de gens se pressant avant la tempête.

     Il semble cependant que ces vents viennent de nulle part. On peut souvent entendre les grondements dans les montagnes même quelques heures avant la tempête; la pluie est comme pulvérisée sur les lacs et les océans, tout cela étant des signes distinctifs. La neige tourbillonnant dans les champs ouverts indique qu’il est temps de se rendre à l’abri. Ces vents du sud-est atteignent plus de 200 km/h avec des conséquences destructives. Voici quelques dates liées à ces gros vents :

     Aussi loin qu’au début des années 1800, on rapporte des histoires de terribles vents et de tragédies qui ont entraîné des pertes de vies. Le 22 septembre 1812, douze pêcheurs de la région de Chéticamp, dont sept pères de famille, ont été pris dans une tempête imprévue et ont été emportés. Quatre d’entre eux étaient des frères, Cyprien, John, Simon et Lazare Leblanc, fils de Lazare LeBlanc et de Modeste Chiasson. John n’était marié que depuis seulement huit jours et la veuve de Cyprien a eu un enfant quatre jours après la tragédie. À cette époque avant l’invention d’équipement de navigation, les ancêtres ont appris à leurs dépens les dangers de la pêche, des vents du nord-est et des suêtes et du péril qu’ils couraient en tentant de se rendre à bon port dans ces tempêtes.

     En 1937, quand M. Toutaint est venu de Trois-Rivières à Chéticamp pour construire l’hôpital, il a été averti des forces des suêtes et on lui a conseillé de construire les murs plus solidement et à l’épreuve de ces vents. Il a suivi les conseils jusqu’à un certain point, mais quand l’hôpital a subi son premier suête, l’eau est entrée par les fenêtres et les murs avec une force irrésistible. M. Toutaint a dû revenir réparer les dégâts et rendre les murs plus étanches.

     Il y a eu une expérience semblable à l’église Saint-Pierre. Son clocher, d’abord élevé à 181 pieds de hauteur, a dû être abaissé d’environ quinze piedsaprès avoir été décapité par un suête, qui avait projeté la lourde croix au loin. Le clocher a été abaissé et attaché à l’intérieur avec quatre gros câbles en acier qui passaient entre l’arche et le toit et étaient fixés aux murs du sud-est.

     Tôt dans les années 1960, Cyril AuCoin a relaté qu’il était à la maison lors d’un gros vent avec les lampes à l’huile que son père gardait toujours à portée de la main durant ces tempêtes. Ils entendaient un battement et croyaient que c’était un volet qui s’était détaché. Le lendemain matin, Fred, le père de Cyril, est allé à l’extérieur et a vu des pas dans la neige près de la maison et de la vieille voiture Pontiac. Un voisin est venu chercher son courrier plus tard dans la journée et a expliqué à Fred qu’il tentait de se rendre chez lui la veille au soir après une partie de cartes chez Eddie Chiasson, mais qu’il avait eu de la difficulté. Il avait frappé à la porte chez Fred, mais personne ne répondait. Il a alors trouvé abri dans la vieille voiture. Il voulait s’excuser de s’être réfugié dans la voiture. Cyril se rappelait comment ses parents étaient tristes d’avoir mal interprété les cognements à la porte.

     Le 17 février 1993, un suête chronométré à 140 km/h a renversé une pompe à essence à l’installation de stockage d’Irving. Un réservoir presque vide a frappé la valve d’un autre réservoir à proximité, provoquant un déversement de 60 000 litres d’essence et causant une évacuation dans la communauté de Chéticamp. Selon le chef pompier de l’époque, ça aurait été une catastrophe majeure. Le fait que le sol était gelé et que l’huile ne s’est pas infiltrée dans le sol ni que le vent n’a soufflé les vapeurs au loin, a probablement sauvé le village. Si cela s’était produit en été, le scénario aurait été très différent. Les pompiers étaient inquiets, car si quelqu’un avait lancé une cigarette ou si deux véhicules étaient entrés en collision, une simple étincelle aurait causé une explosion gigantesque qui aurait affecté les maisons et les gens situés le long d’une grande section de la rue principale de Chéticamp.

    Le 13 mars 1993, la résidence de Clarence et de Sylvia Deveau sur le chemin Barren a été durement frappée lorsque les fenêtres ont été fracassées, les portes des armoires arrachées de leurs pentures et les choses à l’intérieur de la maison ont été brassées. Il y avait des dégâts pour 50 000 $.

     Le matin du 30 décembre 1998, aux funérailles de Freddie (à Paul) AuCoin à Saint-Joseph-du- Moine, le suête semblait terminé, mais Mère Nature n’avait pas dit son dernier mot. Les porteurs ont eu du mal à monter le cercueil jusque dans l’église. D’autres hommes sont venus leur prêter main-forte. Heureusement, les pompiers de LeMoine étaient là pour aider la famille et les amis à entrer dans l’église. Les gens tombaient et se relevaient et ont subi des petites blessures. Mais Didace (à Édouard) LeBlanc n’a pas été si chanceux. Comme il est de petite taille, il a été soulevé par un gros coup de vent et il est tombé en pleine face sur le pavé. Il saignait beaucoup et on a appelé une ambulance qui a mis du temps à venir à cause des vents. On a eu de la difficulté à  entrer Didace dans l’ambulance à cause du vent.

     À l’intérieur, on aurait dit que toute l’église était aspirée. La foule qui remplissait l’église se demandait ce qui allait arriver, c’était brutal. Didace a dû passer quelque temps à l’hôpital pour se remettre de ses blessures.

     Vous pouvez communiquer avec l’auteure au 902-224-2492 pour lui transmettre vos anecdotes et photos sur les suêtes.

Rosie AuCoin-Grace
Rosie AuCoin-Grace
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