Dans cet article, Gaudet nous présente un autre précieux manuscrit de Sigogne, à savoir la première moitié du « récit que [Sigogne] a fait de son voyage depuis le jour de son départ à Londres jusqu’à son arrivée à Halifax »1. Dans une publication ultérieure de ce même récit2, Gaudet explique que le manuscrit original de ce journal « est précieusement conservé par mon ami, le sieur Louis Q. Bourque, de Comeauville, Baie Sainte-Marie, qui s’est prêté de bonne grâce à me le passer, il y a de cela cinq ans ». Heureusement pour Bourque et Gaudet, car le contenu de ce journal de bord est rempli de faits et de détails intéressants, autrement perdus à jamais. Malgré nos recherches intenses, le manuscrit original est introuvable et seule la transcription de Gaudet publiée dans les journaux de l’époque existe.
La publication par Gaudet en 1885 de ce document rare révèle au grand public plusieurs faits jusqu’alors inconnus; le document démontre également chez Sigogne un souci des détails et une intelligence éveillée. Sigogne relate dans ce journal les événements quotidiens dominants ainsi que plusieurs incidents propres à un voyage transatlantique à la fin du dix-huitième siècle. Par exemple, sur la foi de ce journal, on peut établir les points suivants : Sigogne paya 35 guinées pour son passage à Halifax; ses effets ayant été portés à bord du brick Stag le 2 avril 1799, il n’embarqua que le 14 du mois à Londres pour parvenir le 16 à Gravesand où il remit son passeport aux officiers du bureau des Aliens; ce n’est que le 28 avril qu’il perdit complètement de vue la côte de l’Angleterre. Sigogne rédige en outre maints commentaires sur le reflet des couleurs de l’arc-en-ciel dans les vagues; sur l’Ile Sable « inhabitée [… et] fort dangereuse à cause des hauts fonds qui l’environnent » ; sur la pêche qu’il a faite en prenant « une morue des plus grosses que jusqu’alors nous eussions pêchée ». Son journal rapporte également un danger particulier survenu à la fin du voyage lorsque le Stag fut pris dans la brume, le vent et la pluie, et après que la tempête eût diminuée de force : « nous fûmes délivrés par la Providence Divine du danger imminent où nous [nous] étions trouvés ». Finalement Sigogne mit pied à Halifax le 12 juin « sur les huit heures », exactement 59 jours après son embarquement à bord du Stag à Londres.
La deuxième moitié de ce journal de bord transcrite par Gaudet se trouve dans un second article de cette série qu’il complète avec quelques faits historiques et géographiques sur les deux principales régions acadiennes du Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, c’est-à-dire Clare et Argyle. Gaudet conclut en affirmant que « le premier sermon prêché par l’abbé Sigogne à Sainte Anne-du-Ruisseau eut lieu le 26 juillet 1799 ; c’était sur la généalogie de Notre Seigneur. Il prononça le même sermon à la Pointe-de-l’Église, Baie Ste-Marie, le 9 décembre 1799. »3 Bien que plusieurs sermons de Sigogne soient encore conservés intégralement, celui-ci demeure, pour l’instant, introuvable. Cependant, il est bien possible que les dates précises, indiquées par Gaudet, de la livraison du sermon en question soient véridiques, car Sigogne avait l’habitude de dater ses sermons et aussi de les répéter dans plus d’une église, et quelquefois même, dans la même paroisse.
Le troisième article de la série de Gaudet est daté du 3 décembre 1885, publié dans le Courrier des Provinces Maritimes; il traite surtout de détails géographiques et démographiques, principalement de la Baie Sainte-Marie, et contient un bref historique de la colonisation de la région et du retour de l’exil des Acadiens. Gaudet donne la liste des missionnaires itinérants de l’Acadie suivant la Déportation de 1755-1763, à partir de l’abbé Antoine-Simon Maillard, Français d’origine, qui ne visita probablement pas les Acadiens du Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, étant décédé vers 1766. Le dernier de cette liste et le prédécesseur immédiat de Sigogne fut l’abbé Thomas Grace, prêtre irlandais, qui servit les catholiques de la province de 1790 à 1794. Selon Gaudet, il n’y eut pas de missionnaire chez les Acadiens après cette date. Ces renseignements sont parsemés de quelques notes relatives à Sigogne. Nous y apprenons, entre autres, qu’il était le premier prêtre résidant au Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, et principalement à la Baie Sainte-Marie, et qu’il fut le seul missionnaire de Port Royal (aujourd’hui Annapolis Royal) à Pombcoup4 pendant plusieurs années. Gaudet ajoute que le territoire de Sigogne « compte aujourd’hui [en 1885 …] 17 églises catholiques desservies par /…/ 10 prêtres »5, dont deux seulement sont d’origine française, les autres étant d’origine irlandaise ou écossaise.
Dans le quatrième article, daté du 10 décembre 1885, Gaudet présente un texte manuscrit de Sigogne qui révèle non seulement la perspicacité du missionnaire français, mais, pour la première fois, les difficultés encourues par le prêtre avec ses ouailles. Ce manuscrit intitulé Regître de Fabrique de la Paroisse de la Baye Ste-Marie, anglicée Clare, Diocèse de Québec6, couvre la période du 30 septembre 1799 jusqu’en septembre 1811. C’est le seul registre de cette paroisse, rédigé par Sigogne, qui existe encore aujourd’hui. Les autres ont vraisemblablement été victimes des flammes lors des deux grands incendies survenus en 1820 et en 1893. Aussi, il ne reste que quelques pages manuscrites ainsi que quelques- unes transcrites par Gaudet du Registre des baptêmes, mariages et sépultures tenu par Sigogne à la paroisse Sainte-Marie, la majeure partie de ce registre ayant probablement subi le même sort.
Nous concluons ici les deux chroniques au sujet des écrits de Placide Gaudet à propos de Sigogne et de son époque. Avis aux lecteurs intéressés : Gaudet a énormément publié sur Sigogne et l’Acadie de son vivant dans les journaux francophones du temps, en particulier le Courrier des Provinces Maritimes, Le Moniteur Acadien et L’Évangéline.
1 Gaudet, « L ’abbé Jean-Mandé Sigogne », Courrier des Provinces Maritimes (19 novembre 1885), p. 2.
2 Journal de l’Abbé J. M. Sigogne. De Londres à Halifax sur le brig Stag, en 1799 », L’Évangéline (30 octobre 1890), pp. 1-2.
3 Gaudet, « L ’abbé Jean-Mandé Sigogne », (26 novembre 1885), p. 1.
4 Pombcoup ou Pouboumkou est l’ancien toponyme du village acadien nommé aujourd’hui Pubnico-Ouest au Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse.
5 Gaudet, « L ’abbé Jean-Mandé Sigogne (suite) » (3 décembre 1885), p. 1.
6 L’original de ce précieux document couvrant la période de 1799 à 1811 est conservé aux archives du Centre acadien, Université Sainte-Anne, Pointe-de-l’Église, Nouvelle-Écosse: MG 2C, Vol 12.