le Lundi 27 mars 2023
le Dimanche 9 février 2020 20:35 Au rythme de notre monde

Pourquoi tant d’hostilité entre l’Iran et les États-Unis? (2e partie)

Le 4 novembre 1979 : des étudiants iraniens escaladent les murs de l’ambassade des États-Unis à Téhéran.  —  https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/09/Iran_hostage_crisis_-_Iraninan_students_comes_ up_U.S._embassy_in_Tehran.jpg
Le 4 novembre 1979 : des étudiants iraniens escaladent les murs de l’ambassade des États-Unis à Téhéran.
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/09/Iran_hostage_crisis_-_Iraninan_students_comes_ up_U.S._embassy_in_Tehran.jpg
C’était en avril 2007, plus d’un an avant l’élection présidentielle qui allait propulser Barack Obama à la Maison-Blanche. Son futur adversaire, feu John McCain, ancien prisonnier de guerre au Viêt Nam et sénateur républicain de l’Arizona depuis 1987, s’est fait poser une question dans une assemblée publique sur la stratégie qu’il envisagerait face à l’Iran, soupçonné de développer des armes nucléaires.

     « Vous connaissez cette vieille chanson des Beach Boys, « Bomb Iran? », a-t-il demandé à la foule, avant d’entonner, sourire en coin : « Bomb, bomb, bomb… bomb, bomb Iran! » Suite à la médiatisation de sa malencontreuse boutade, McCain n’a ni désavoué, ni démordu.

     Petite note d’histoire musicale : il s’agissait d’une parodie d’une chanson que les Beach Boys ont bel et bien popularisée dans les années 1960, c’est-à-dire « Barbara Ann », enregistrée dans un premier temps par le groupe de doo-wop, The Regents. La version à laquelle McCain ferait allusion, et dont les paroles recommandent de « transformer l’Iran en stationnement » à coups de bombardements aériens, a été créée bien plus tard, pendant la Révolution iranienne de 1979.

     C’est ce contexte que nous allons revisiter ici afin de mieux comprendre la sempiternelle rancune qui continue d’envenimer les rapports entre l’Iran et les États-Unis. Signalons que les deux pays n’entretiennent pas de relations diplomatiques formelles depuis 1980, les intérêts iraniens étant représentés à Washington par le Pakistan et la Suisse jouant le rôle d’intermédiaire des États-Unis à Téhéran.

     Ma dernière chronique a mis en lumière le coup d’État monté en 1953 par les États-Unis et le Royaume-Unis contre le premier ministre Mohammad Mossadegh, chef d’un gouvernement dûment élu et parfaitement légitime.

     L’une des conséquences de cette ingérence a été de renforcer le pouvoir autoritaire du monarque Mohammad Reza Chah, deuxième souverain de la dynastie des Pahlavi. Fut créée, peu après, la SAVAK. Cette agence de renseignement intérieur fonctionnera comme une police politique et, pour beaucoup, comme un instrument de terreur pour étouffer toute dissidence.

     Une autre conséquence a été d’intensifier l’influence de plus en plus lourde des États-Unis, soucieux de conserver un allié anticommuniste pendant la guerre froide.

     L’Occident a gardé le souvenir des tentatives de modernisation et de réforme sociale entreprises par le chah, notamment en matière d’égalité des femmes. La population iranienne a été marquée plutôt par la répression impitoyable et la corruption endémique, vices auxquels se joignaient de graves iniquités socioéconomiques, au détriment des milieux modestes et défavorisés.

     Le mouvement de contestation contre le régime du chah aboutira à la Révolution iranienne de 1978-1979. Après avoir réuni plusieurs courants idéologiques, celle-ci sera dominée par le parti de Rouhallah Khomeini, un dissident exilé et un clerc doté du titre d’ayatollah, c’est-à-dire un expert de théologie et de jurisprudence religieuse dans l’islam chiite. C’est sous sa gouverne que l’Iran adoptera le régime théocratique qui passe pour extrémiste et, à sa manière, peu respectueux des droits humains – et surtout des femmes.

     Si un anti-américanisme palpable anime la ferveur révolutionnaire, ce sentiment atteint son paroxysme lorsque l’administration de Jimmy Carter autorise le chah déchu, qui venait de fuir l’Iran, à se rendre à Washington pour des traitements médiaux. Il s’ensuit une explosion de colère. Le 4 novembre 1979, des étudiants radicaux envahissent l’ambassade états-unienne à Téhéran. La détention de plus d’une cinquantaine d’otages bénéficie de l’appui ouvert de Khomeini, désormais « Guide de la Révolution », et du soutien d’une grande partie de la population.

     « Entre le souverain traqué et le peuple prosterné sur le trottoir, il y a une épaisseur de haine que les États-Unis, semble-t-il, ont complètement sous-estimée », écrivent à l’époque Josette Alia et Pierre Blanchet dans Le Nouvel Obser vateur. « Le petit peuple d’Iran a confondu dans la même haine le chah, “Satan” et son suppôt, l’Amérique, symbole d’un Occident aujourd’hui détesté, rejeté. Alors, le dimanche 4 novembre, l’irréparable se produit. »

     Les jeunes militants sont d’ailleurs convaincus que l’ambassade abrite des agents qui s’apprêtent à renverser le gouvernement révolutionnaire. « Le spectre de 1953 continuait de hanter l’Iran », affirme l’historien Ervand Abrahamian.

     L’occupation de l’ambassade américaine durera 444 jours, jusqu’au 20 janvier 1981, et provoquera l’une des plus grandes crises diplomatiques de notre temps. C’est un désastre pour le président Carter qui sera lessivé aux élections présidentielles de 1980 par le républicain Ronald Reagan.

     Depuis lors, les États-Unis d’Amérique, puissance mondiale jalouse de ses intérêts stratégiques au Moyen-Orient, et la République islamique d’Iran, aux ambitions hégémoniques à l’échelle régionale, se voient et se comportent comme des ennemis.

     Du côté iranien, cette hostilité se manifeste notoirement par le soutien à des groupes considérés comme terroristes par la communauté internationale, comme les milices du Hezbollah, parti chiite au Liban. Elle se manifeste également par son opposition virulente aux alliés de Washington, à commencer par Israël et l’Arabie Saoudite. De plus, l’Iran est accusé d’avoir organisé plusieurs attentats terroristes au fil des ans.

     Du côté des États-Unis, l’Oncle Sam s’efforce en général de contrer l’influence de l’Iran et, dans le meilleur des scénarios, de favoriser la chute du régime. Pendant la longue et sanglante guerre opposant l’Iran à l’Irak, de 1980 à 1988, les États-Unis ont aidé les forces de Saddam Hussein à déployer des armes chimiques illégales. Washington mène la charge pour appliquer des sanctions commerciales et d’autres mesures afin de détourner Téhéran de son programme nucléaire.

     Certes, nous n’en sommes pas à une contradiction près. L’administration Reagan a permis la vente (illégale) d’armes à l’Iran dans les années 1980 tandis que d’autres actions ont souvent eu un effet adverse aux intentions des États-Unis. Lorsque le président George W. Bush a traité l’Iran de parte intégrante de « l’axe du mal », avec l’Irak et la Corée du Nord, ses propos ont nui terriblement à la contestation démocratique à l’intérieur du pays. L’invasion de l’Irak de 2003 aura surtout contribué à accroître l’influence iranienne chez son voisin, et donc à travers la région.

     Nombre d’observateurs croient que cette rivalité a fini par arranger les deux camps et que, devant une sorte d’équilibre précaire, ceux-ci ne souhaitent pas vraiment améliorer leurs relations. Pour l’instant, les tensions si vives il y a un mois se sont calmées. Mais pour combien de temps?

Marion S. Trikosko. Image dans le domaine public; source : Bibliothèque du Congrès des États- Unis [https://www.loc.gov/item/2005696438/]