On les a entendus dans la foulée de l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani lors d’un bombardement américain en Irak, le 3 janvier, sur l’ordre du président Donald Trump. Les événements subséquents ont fait craindre le pire.
Le matin du 8 janvier, l’Iran ripostait en lançant des missiles contre deux bases américaines en Irak et, ce jour-là, le vol PS 752 fut abattu par la défense anti-aérienne iranienne, laissant 176 victimes, dont 57 Canadiennes et Canadiens. Après avoir nié toute responsabilité, le gouvernement a avoué une erreur de sa part. Cette fois-ci, c’est contre son propre gouvernement que le peuple iranien manifeste pour exprimer son mécontentement et sa solidarité envers les familles touchées par l’accident.
Qu’il en résulte ou non une guerre entre l’Iran et les États-Unis, le problème de fond demeurera : les relations entre ce premier, un acteur incontournable au Moyen-Orient, et ces derniers, une superpuissance, sont pourries par la méfiance et l’hostilité. Mais pourquoi?
Cet antagonisme s’explique en grande partie par deux événements du XXe siècle, survenus en 1953 et en 1979, respectivement.
S’enracinant dans la civilisation perse héritée de l’antiquité, l’Iran compte 82 millions d’habitants. Sa langue dominante est le farsi et sa population pratique en grande majorité l’Islam chiite, une branche distincte et, à l’échelle mondiale, minoritaire de la religion musulmane qui voue un culte particulier aux martyrs Ali, le gendre du prophète Mahomet, et son fils Hussein. La République islamique d’Iran a été établie en 1979, lorsqu’une révolution populaire a renversé la dictature monarchique du chah (ou souverain) Mohammed Reza Pahlavi. Un régime théocratique a été instauré sous la houlette de Rouhollah Khomeini. Celui-ci se fonde, d’une part, sur une interprétation rigoriste de la doctrine religieuse et sur le principe du Velâyat-e Faqih ou « tutelle du juriste », c’est-à-dire l’autorité du clergé sur le gouvernement, et, d’autre part, sur une promesse de justice sociale pour l’ensemble du peuple.
Sur le plan géopolitique, l’Iran revêt une importance capitale. Son territoire abrite près de 10 % des réserves pétrolières mondiales, derrière le Venezuela, l’Arabie saoudite et le Canada, alors que sa position sur le golfe Persique lui donne une emprise sur les voies navigables les plus convoitées de la planète.
Sont reprochés à l’Iran, outre le caractère répressif de son modèle politique, ses ambitions nucléaires, qui suscitent l’inquiétude de la communauté internationale, et son appui à des groupes considérés comme terroristes à l’extérieur du pays. Depuis 1979, il existe un conflit larvé, mais bien réel, entre l’Oncle Sam et la République islamique, soit un jeu du chat et de la souris que
David Crist, historien au sein du Département de la défense des États-Unis, qualifie de « guerre crépusculaire » dans un ouvrage minutieusement documenté (The Twilight War : The Secret History of America’s Thirty-Year Conflict with Iran, 2012).
Cela n’a pas toujours été comme ça. Jusqu’au milieu du XXe siècle, les États-Unis jouissaient d’une certaine sympathie chez les Iraniens. L ’ennemi, c’était plutôt le Royaume-Uni – du moins aux yeux du peuple.
Même après l’amorce du déclin de l’empire britannique, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Londres voyait les contrées de l’Asie et de l’Afrique comme des terrains à exploiter, sans égard pour la volonté des « indigènes ». L ’un des exemples les plus flagrants de cette arrogance était l’Anglo-Iranian Oil Company, fondée en 1909 (et initialement nommée Anglo-Persian Oil Company) après la découverte d’un gisement pétrolier dans l’ouest de l’Iran. Ses premiers contrats avec l’État perse ont pratiquement anéanti la souveraineté iranienne.
Sous le règne de Reza Chah Pahlavi, fondateur d’une nouvelle dynastie à partir de 1925, des négociations se poursuivent avec l’AIOC, car les conditions se comparent très défavorablement avec celles dont bénéficie, par exemple, l’Arabie saoudite avec des sociétés américaines. Mais la compagnie, essentiellement contrôlée par le gouvernement britannique, tient le haut du pavé.
En 1941, à la suite d’une invasion anglo-soviétique, le chah est évincé en raison de ses affinités avec l’Allemagne nazie. Son fils monte sur le trône, désormais redevable à Westminster.
Dans les années qui suivent, il se développe au sein du parlement iranien, le Majlis, un puissant bloc nationaliste et démocrate qui veut réformer le pays. Son chef de file s’appelle Mohammad Mossadegh. Fervent constitutionnaliste formé en France et en Suisse, il crée le Front nationaliste iranien, parti d’opposition, avant d’être nommé premier ministre en avril 1951.
Mossadegh va prendre une décision monumentale : contre l’avis du chah qui subit la pression des Britanniques, le Majlis vote l’expropriation de l’AIOC et la création du National Iranian Oil Company. L’objectif de cette mesure est d’assurer à la nation iranienne la maîtrise de ses propres ressources et, par conséquent, de son destin.
Débouté par la Cour internationale de justice, le Royaume-Uni convainc le président Eisenhower de lui prêter main-forte, en jouant la carte de la menace de l’expansion communiste au Moyen-Orient. En août 1952, la CIA et le MI6 coordonnent l’opération Ajax au terme duquel le gouvernement dûment élu – et très populaire – de Mossadegh est renversé.
Tandis que les espoirs démocratiques de l’Iran sont brisés, un fort anti-américanisme s’insinuera dans le futur mouvement de contestation contre la monarchie.
Stephen Kinzer, l’auteur d’un livre sur le coup d’État de 1953, en résume les effets : « Sa conséquence la plus directe était de donner à Mohammed Reza Chah la chance de devenir un dictateur. Il a reçu d’énormes sommes d’aide de la part des États-Unis […], mais son règne oppressif a fini par dresser les Iraniens contre lui. En 1979 leur colère a explosé dans une révolution fracassante menée par des intégristes islamiques. »
La prochaine chronique traitera de la crise diplomatique de cette époque et de ses longues et douloureuses séquelles.
