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le Lundi 9 décembre 2019 16:13 Chroniques

De Par-en-Haut à Par-en-Bas : un voyage en plein hiver 1805

Dessin copié du site. — http://annacatharina.centerblog.net/8250-le-mythe-de-la-cigogne
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Louis Quentin Bourque est né dans la paroisse de Sainte-Anne-du-Ruisseau (comté Yarmouth, Nouvelle-Écosse), le 31 octobre 1800. De descendance acadienne, il était le quatrième enfant de Joseph Bourque et de Véronique Arsenault.

     À l’âge de trois ans, et jusqu’à la fin de son adolescence, il fut pris en charge par l’abbé Jean Mandé Sigogne. Durant cette résidence, il reçut, avec d’autres élèves, une éducation privilégiée du vénérable curé des paroisses Sainte-Marie (Par-en-Haut) et Sainte-Anne (Par-en-Bas). L ’abbé Sigogne avait espéré diriger Bourque vers la voie du sacerdoce, mais il en fut autrement. Ce dernier épousa en 1834 Rosalie Comeau avec qui il eut six enfants. Adulte, Louis Bourque est devenu juge de paix, arpenteur et inspecteur des terres, entre autres, à la Baie Sainte-Marie, où, plusieurs années plus tard, en 1892, il rendit l’âme à Comeauville.

     Plusieurs lettres manuscrites et documents variés de M. Bourque existent aujourd’hui, principalement aux archives du Centre acadien, de l’Université Sainte-Anne, et au Centre d’études acadiennes, à l’Université de Moncton. La majorité de ces lettres adressées à l’historien Placide Gaudet, traitent surtout de l’abbé Sigogne et elles contiennent d’intéressants détails du vécu de ce prêtre et de son élève. L’une de ces lettres, en particulier, adressée à Placide Gaudet le 29 janvier 1891, relate en détail une aventure quasi invraisemblable. Le même récit est cependant repris, peu de temps après, dans une autre lettre, celle-ci adressée à l’abbé Alphonse Parker, curé de la paroisse Saint-Bernard. L’anecdote relatée, un voyage à dos de cheval à l’hiver 1805 au début du XIXe siècle. Voici le récit de la main de M. Bourque, âgé de 90 ans :

     Un des anciens voyages de l’abbé Sigogne de Sainte-Marie, Clare, comté de Digby, à Sainte-Anne, Cap-Sable, comté de Yarmouth, une distance 50 milles. – C’était dans l’hiver après une bordée de neige.  – On par tit, l’abbé Sigogne, deux de ses paroissiens pour compagnons, trois chevaux pour transpor ter le bagage, et moi, petit garçon assis en croupe derrière l’abbé Sigogne, pour aller faire une demeure à Eel Brook et y passer le Carême. Il y avait à cet endroit d’excellentes anguilles à manger, une sor te de poisson très estimée de l’ancien pasteur.

     Comme les chemins étaient très difficiles pour voyager et qu’il se trouvait beaucoup d’inconvénients – à bien des endroits dans ces temps-là, il fallait passer par la côte et traverser des ruisseaux et rivières se dégorgeant à la mer au reflux de la mer – il fallait deux jours entiers pour faire les 50 milles d’une église à l’autre. Le premier jour, on se rendit à la Rivière-aux-Saumons chez Jean-Jacques Deveau, près de la côte, 20 milles de l’église de Sainte-Marie, où il n’y avait alors que quatre maisons logeant les trois frères Deveau et Barnabé Martin, près de là où on a érigé depuis l’église Saint-Vincent. Le reste du terrain étant boisé pour quelques milles au nord de la Rivière-aux-Saumons, on suivait une route près de la côte qui n’était bordée d’aucune habitation. Il y avait dans ces temps un très méchant pont qu’il fallait traverser sur la rivière depuis la côte par où on passait. Jean-Jacques et son frère François Deveau demeuraient près l’un de l’autre du côté du sud de la rivière. Le troisième frère était établi près du pont du côté du nord.

     Après avoir passé la nuit chez l’ancien Jean-Jacques Deveau, ami de l’abbé Sigogne, au matin la violence du temps commence à se faire sentir. Cependant, quoique le temps était peu favorable, on partit avec les chevaux, bagages, provisions, et hache en cas de besoin, pour traverser un portage d’une distance de près de 15 milles, à aller en haut du lac de la fonderie de Yarmouth, où il n’y avait alors point de maison. Après n’avoir parcouru que trois milles, on fut frappé tout à coup d’une tempête de vent et d’une terrible bourrasque de neige. Arrivé à un endroit complètement déser t où il y avait un marécage ou pré salé, on se trouve dans un foudroiement qu’il n’était pas possible de poursuivre la route. Comme il se trouvait une petite cahute de pièce sur pièce délaissée par un vieux (noir) depuis quelque temps, on en fit un refuge pour le reste de la journée et y passer la nuit. Craignant de périr par la rigueur du temps, l’abbé Sigogne et ses braves compagnons décidèrent ensemble de se réfugier dans la bâtisse (du noir) et d’y passer la nuit, ce qu’on fit avec trois chevaux, ce qui n’a jamais été oublié par l’historien. C’était une grâce de la Providence de pouvoir se mettre à l’abri d’un pareil temps. On avait du feu, une hache qui était nécessaire pour voyager et pour couper des arbres que le vent jetait quelques fois dans le chemin du portage. Le bois de chauffage était des pièces de la bâtisse, tranchées avec la hache. Les chevaux étaient une très bonne compagnie pour réchauffer l’hôtel (du noir).

     Le vénérable abbé J. M. Sigogne était très content et satisfait dans le lieu étrange où il se trouvait. Le lendemain fut plus favorable pour continuer le chemin et se rendre au domicile avec assez de misère quand même. En ces temps-là, l’abbé Sigogne avait à desser vir la distance de Pomcou au Por t Royal, et ce, dans des chemins et des conditions très difficiles.

     (signé L. Q. Bourque
     élève de l’abbé Sigogne)