le Jeudi 23 mars 2023
le Mardi 3 décembre 2019 14:47 Au rythme de notre monde

Une lettre d’Algérie

 Le campus de l’Université Blida 2 – Lounici Ali se situe à l’extérieur de la ville de Blida, dans la commune d’El Affroun. À l’horizon se profile le massif montagneux de l’Atlas blidéen. — Clint Bruce
Le campus de l’Université Blida 2 – Lounici Ali se situe à l’extérieur de la ville de Blida, dans la commune d’El Affroun. À l’horizon se profile le massif montagneux de l’Atlas blidéen.
Clint Bruce
Chère Acadie, À l’heure où j’écris ces lignes, la molle clarté du jour se meurt doucement sur la Méditerranée. Vue de mon balcon, la ville d’Alger, dite « la Blanche » en raison de la couleur de ses façades, s’étale dans toute sa splendeur, des hauteurs de Zeghara, par-delà le centreville et le quartier historique de la Casbah, jusqu’à l’étincelante autoroute qui longe le bord de mer avant de frôler la toute nouvelle Djamaâ El-Djazaïr, la troisième plus grande mosquée du monde après celles de la Mecque et de Médine.

     Dans quelques heures se terminera mon premier voyage sur le continent africain et mon premier séjour dans un pays musulman. Je m’en souhaite beaucoup d’autres.

     Méconnue et parfois mal perçue, l’Algérie cherche sa place au soleil. Après avoir arraché à la France son indépendance gagnée de haute lutte entre 1954 et 1962, mettant ainsi fin à une colonisation brutale de 130 ans, et après avoir traversé des périodes difficiles comme la guerre civile opposant le gouvernement à des extrémistes religieux dans les années 1990, elle est de nos jours riche d’une jeunesse assoiffée d’avenir. Si ce pays a su cultiver certains avantages, notamment au niveau du développement humain, qui est le plus élevé d’Afrique, l’Algérie du 21e siècle n’en connaît pas moins des défis considérables, qu’elle résoudra, espérons-le, plus tôt que tard.

Carte élaborée par Connormah et reproduite en vertu de la licence CC BY-SA 3.0. Source : https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=8986151

     C’est grâce à un colloque scientifique que j’ai pu passer quelques jours en Algérie, en commençant par la région de Blida, à une quarantaine de kilomètres d’ici. Du mardi 19 au mercredi 20 novembre s’est déroulé le symposium international

     Le Moi et l’Autre, de la tolérance à la rencontre, organisé par le Département d’italien de l’Université Blida 2 – Lounici Ali, avec la collaboration d’une équipe de recherche de l’Université de Bologne, en Italie. La thématique des rapports interculturels était à l’honneur.

     Pour ce qui est de l’accueil, la légendaire hospitalité algérienne s’est montrée bien à la hauteur de sa réputation. L ’ambiance conviviale a favorisé des échanges sur des sujets comme les stéréotypes sur « l’Autre », les représentations littéraires de l’étranger et l’intégration du contexte culturel dans l’enseignement des langues. La porte a été ouverte, j’ose croire, pour envisager des partenariats entre ma Chaire de recherche et des chercheurs d’ici.

     D’ailleurs, puisque je viens de coprésider un colloque à l’Université Sainte-Anne, je sais que c’est du boulot. Chapeau bas, donc, aux deux coresponsables, la professeure Djaouida Abbas, également doyenne de la Faculté des lettres et des langues, et Aicha Chekalil, sa collègue au Département d’italien.

     Il faut dire que ça bouge dans leur établissement! Les projets de rénovation et de construction se succèdent sur ce campus, qui réunit quatre facultés depuis 2013, et la population étudiante est en pleine croissance – environ 35 000, me dit-on. Côté recherche, les manifestations scientifiques abondent.

     Après les adieux à Blida, je me suis fixé à Alger, la capitale, où j’avais réservé une chambre dans un célèbre hôtel, l’El Djazaïr (anciennement le St-George). C’est de là que je t’écris. Juste au-dessous de mon étage se trouve la suite où le général américain et futur président Dwight D. Eisenhower avait établi son quartier général en 1942-1943, pendant la Seconde Guerre mondiale, en tant que commandant en chef des armées alliées en Afrique du Nord. Un beau morceau d’histoire!

     Le but de cette étape du séjour : enrichir l’offre de mes cours sur la francophonie. (Note linguistique : la République algérienne démocratique et populaire a pour langues officielles l’arabe et le tamazight, la langue autochtone. Le français y est solidement implanté même si c’est une langue seconde et toujours associée à la colonisation.) J’enseigne régulièrement un film classique, La Bataille d’Alger (1966), docufiction mettant en scène l’une des phases les plus sanglantes de la guerre d’indépendance.

     Il m’avait donc semblé avantageux de profiter du voyage jusqu’ici pour me plonger dans cet environnement urbain. Ce que j’ai pu faire à la faveur de promenades et de visites guidées. Ces sorties m’ont amené au cœur de la Casbah, grâce au très serviable Amar Menour, et, surprise inattendue due à une rencontre fortuite pendant le colloque, tout en haut du minaret de la Grande Mosquée. Celui-ci fait 39 étages.

     Alger est une ville très agréable pour qui aime les grandes villes, autant par sa physionomie que par ses gens, sympathiques et prompts à engager la conversation avec les étrangers.

     Or, il y a un mot qui court sur toutes les lèvres : le Hirak – c’est-à-dire : le Mouvement. Depuis la mi-février, une lame de fond de contestation populaire déferle sur l’Algérie. Tous les vendredis, d’importantes manifestations sont organisées un peu partout, dans l’espoir de provoquer une transition politique et une transformation profonde d’un système que les gens jugent vermoulu par la corruption et insensible aux aspirations du commun des mortels.

     Jusque-là, le Hirak est resté entièrement pacifique. Des élections auront lieu le 12 décembre. Je croise les doigts, par solidarité avec ces Algériennes et Algériens qui aiment si passionnément leur pays, pour que tout se passe bien.

     Tu as sans doute beaucoup de questions auxquelles je ne saurai répondre en l’espace d’une seule lettre.

     La question de la situation des femmes en est une qui revient souvent chez nous en pensant aux sociétés musulmanes. Le port du hijab et d’autres types de voiles islamiques suscite questionnements et condamnations. Mes brèves observations auront donné ce constat : il y a une grande diversité tant dans les attitudes que dans les pratiques. Il m’arrive souvent de voir marcher et causer ensemble deux femmes – amies, sœurs ou collègues… que sais-je? – l’une portant le hijab, l’autre la tête découverte. C’est à l’image de la société algérienne, je crois.

     L’Algérie peut nous apprendre beaucoup si nous nous mettons à son écoute, en suspendant nos préjugés et présupposés.

     La nuit règne maintenant sur le Maghreb. Il est l’heure de me coucher, car le départ pour l’aéroport viendra tôt demain matin.

     À bientôt, chère Acadie.